Bienvenue à Femmes Innovantes, une série de balados présentée par Randstad Canada dans le cadre du programme Les femmes qui transforment le monde du travail. On y explore des stratégies gagnantes pour naviguer dans un marché du travail en constante évolution grâce à une série d’entrevues inspirantes avec des femmes audacieuses et passionnées qui façonnent le monde du travail de demain. Bonjour, je suis votre animatrice Marie-Noëlle Morency et aujourd’hui j’ai le grand plaisir de vous présenter Déborah Cherenfant,entrepreneure et fondatrice de la plateforme Mots d’Elles et Lauréat du prix femme de mérite en entrepreneuriat du Y des femmes de Montréal. Bonne écoute!
Marie-Noëlle : Bien contente de vous avoir avec nous. Parlons un petit peu de ton parcours. C’est ma première question. Dis-moi d’où te viens cette passion dévorante pour l’entreprenariat ?
Déborah : Je dirais que ça commencé vraiment très jeune. Je me rappelle la ferme conviction à partir de l’âge de 8 ans, j’ai concrètement rêvé, si on veut et pensé que mon destin serait de devenir une femme d’affaires. Donc à partir de ce moment-là, l’idée s’est de plus en plus cristallisé au fil des années et je me rappelle aussi 8 ou 10 ans plus tard à l’âge de 16 ans, quand je pense avoir eu la première fois à confronter le mot entrepreneuriat et entrepreneurship et c’est à ce moment-là que je me suis dit que c’était vraisemblablement ce que je voulais faire. Donc entre 8 ans et 16 ans, ce qui a beaucoup plus alimenté cette passion c’était les livres. Ça va faire très cliché, mais Oprah aussi. Je suis née et j’ai grandi en Haïti, j’ai 2 sœurs. On regardait très souvent la télé américaine et aussi l’émission Oprah. L’émission passait à 16 h et l’école terminait à 15 h, donc il fallait absolument faire très vite pour ne pas la manquer car il n’y avait pas encore d’enregistreur à cette époque. Ce contact avec Oprah avec son cheminement, sa carrière, et le fait de voir une femme d’affaires, une femme qui avait un peu bâti son empire, ça beaucoup alimenté si on veut, cette vision-là, cette appréciation du côté business. Par la suite, cela s’est cristallisé avec l’entreprenariat du marché. Dès l’âge de 16 ans jusqu’à 18 - 19 ans, à partir du moment où j'ai postulé pour venir étudier à Montréal, c’est vraiment là que j’ai jeté mon dévolu sur le mot entrepreneuriat. Dès ce moment, cela s'est vraiment amplifié dans le sens où c’est quoi l’entrepreneuriat ? Comment on peut aider les entrepreneurs, comment on devient entrepreneur et beaucoup de ces éléments-là ont nourri et alimenté ma passion.
Marie-Noëlle : C’est quoi tes premières armes comme entrepreneur ? Ça été quoi ton premier go, on y va ?
Déborah : Ah mon dieu, mes toutes premières armes, je dirais que c’était à l’âge de 8 ans quand je faisais des manu-pédi pour les amis de la famille et des membres de la famille en Haïti. Dire que je me faisais payer et à la grande surprise des membres de ma famille parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je chargeais pour ce service. Très petite, j’avais aussi l’esprit très commercial et business. Plus tard cela été les cartes de vœux, les chocolats puis les bonbons. Plusieurs petits commerces pendant l’année scolaire. Également lorsque j’ai fait l’école au grand dam des religieuses, pendant 13 ans avec ma sœur. C'était interdit, mais bon elles découvriront peut être en écoutant podcast que j’ai fait du commerce dans la cour de récréation à plusieurs reprises, en bon français un sideline pendant plusieurs années. Donc mon premier contact avec l’entrepreneuriat c’était ça, l’aspect vraiment très minime et très joli si on veut Je dirais ça vraiment commencé ici,après mes études, avec Coloré, avec Mots d’Elles après la plateforme après la rédaction du blog. En 2012-2013, j'ai créé véritablement Coloré.
Marie-Noëlle : Oui bien et voilà c’est en 2012 donc Coloré design est une entreprise qui embauche uniquement des femmes immigrantes.
Pourquoi ça te tient à cœur ça, pourquoi tu fais concrètement pour aider ces femmes-là et aussi ce que j’ai envie de te demander, est-ce que tu trouves qu’on avance en société en ce qui a trait à la diversité et à l’inclusion ?
Déborah : Je vais répondre à la dernière question avant. Je pense que oui. Je pense sincèrement et je ne sais plus qui disait ça, mais à partir du moment où on est prêts à aborder le problème, c’est le premier pas vers le changement. Je pense qu’à partir du moment où on est prêts à parler de, d’immigration, de diversité, de racisme, de discrimination, plein de termes qui se retrouvent souvent dans la même phrase, même si on ne parle pas de la même chose, on s’entend. Je pense qu’à partir du moment où on est prêts à aborder la question, on est quand même prêts et ouverts à le résoudre. Et c’est vrai qu’en matière de diversité ou du moins d’inclusion de cette diversité-là, beaucoup de personnes, d’entreprises, d’organisations ou de divers paliers de gouvernements, que ce soit au municipal, au provincial ou au fédéral, sont motivés et vraiment et veulent changer la donne, changer les choses pour les personnes qui appartiennent justement à ces groupes minoritaires. Et je pense qu’à partir du moment où effectivement, on est prêts à aborder la question, on a déjà fait un grand pas. Maintenant, c’est sûr que dans tout changement, il y a des embûches, il y a des personnes qui résistent, il y a des personnes qui ne comprennent pas totalement donc c’est sûr qu’on est confrontés à ce éléments là qu’on vit aujourd’hui dans une société québécoise, mais je pense que dans 5, 10, 15 ans, au grand maximum, j’espère qu’on en parlera peut-être plus, que ce sera justement quelque chose d’acquis pour beaucoup, parce que ça doit faire partie intégrante de nos façons de fonctionner, de nos façons de faire. Mais je pense que sincèrement, depuis 2015, qu’on a beaucoup évolué parce qu’il y a des sujets qu’on n'aborde pas, il y a des termes qu’on ne mentionnait pas il y a des choses qu’on ne voyait pas que ce soit à la télé ou dans les journaux, bref. En termes de représentation aussi si on veut mettre un autre mot dans le même panier également, Je pense qu’on avance dans le bon sens avec quelques ajustements par ci par là. Il faut qu’on soit prêts à se regarder dans le miroir et à se confronter à nos peurs, à nos craintes, à nos ambitions aussi, à nos projets, parce qu’on n’est pas que dans le positif, on veut aussi réaliser des choses. Je pense qu’on doit être prêts à ne pas prendre le débat personnel et se dissocier pour faire en sorte que l’on puisse collectivement aborder …
Marie-Noëlle : Sortir un peu du « je me moi ».
Déborah : Exactement. Lâcher le « je me moi » et aller vers le nous et c’est ensemble que l’on va résoudre le débat.
Marie-Noëlle : Et toi tu as vu ça de près, car tu aides ces femmes-là donc tu as vu l’effet de l’inclusion, de les aider à l’autonomisation, donc comment ça fonctionne, comment tu les aides concrètement et c’est quoi les effets positifs que tu as vus ?
Déborah : Déjà je l’ai vu avec moi, puisqu’après, moi je n’ai pas eu le même parcours que ces femmes-là. Moi, je fais partie, je dis toujours, des privilégiés, parce que je suis venue étudier et que toute suite après j’ai pu faire mes papiers d’immigration, travailler et avoir une première expérience québécoise. Ma trajectoire est quand même assez simple. D’autres personnes qui ont emprunté le même chemin que moi et peut-être pas la même chose. Avec Coloré, j’étais je voulais embaucher que des femmes immigrantes puisque j’ai constaté après 2-3 ans que les femmes avec lesquelles je travaillais, qui faisaient la production ici même à Montréal étaient des femmes immigrantes pour la plupart. Ces femmes avaient un certain âge et un parcours migratoire. Elles étaient venues s’installer à Montréal pour travailler dans le domaine manufacturier dans la couture et dans la mode. À la fermeture de ses manufactures, elles se sont retrouvées très souvent sans emploi ou devaient se relocaliser ailleurs et un autre secteur d’activités. Donc j’ai pu leur offrir cette stabilité et un contact dans le domaine auquel elles excellent. C’est le fait de travailler entre femmes, de se réunir et de se revoir, de se côtoyer vraiment entre elles et de parler vraiment et de briser l’isolement. Très souvent se sont des femmes qui n’avaient pas totalement maitrisé le français, certaines femmes étaient du sud asiatiques, qui étaient beaucoup plus anglophones. Le but était de leur donner un endroit pour leur donner un sens, sortir de l’isolement et reconnecter. De mettre à profit leur expertise et leur talent qu’elles avaient collectivement, et leur permettre à travers leur pices d'avoir un petit impact social.
Marie-Noëlle : C’est un thème commun qui revient un peu dans tes choix de carrière ou de projets, l’aspect de créer une communauté, de créer des liens, de mettre en commun des gens ?
On a vu dans nos recherches qu’il y a plusieurs plateformes exclusivement féminines qui mettent en contact des femmes et qui leur permettent de partager des alliances.Ca nous rassure, ça nous encourage, on se dit : je ne suis pas toute seule. Il y a une prolifération de ces plateformes et toi je crois que tu participes beaucoup à ça, notamment avec Mots d’Elles, le blog qui met en valeur les femmes en affaires. Tu as eu des prix pour ça. Meilleur blog d'affaires au Canada. Au fil des gens, et tu as dû en rencontrer pas mal, aussi des femmes dans ce cadre-là. Est-ce que justement tu as pu dégager, parce que nous aussi notre programme nous permet de rencontrer plein de femmes de tous horizons et souvent on dégage des traits communs, des défis similaires, des espoirs similaires. Est-ce que tu as pu dégager un fil conducteur, des thèmes communs, des choses qui reviennent ? Tu as sûrement dû voir des thèmes communs qui reviennent.
Déborah : Tout à fait. Et le premier élément, je pense qu’il est également commun aux hommes, c’est la passion. J’ai rencontré vraiment, j’ai eu la chance de rencontrer au-delà d’une centaine de femmes et toutes passionnées, c’était toujours la première, sincèrement, la première raison qui leur venait en tête quand on disait justement qu’est ce qui les gardaient encore motivées, qu’est ce qui en fait était la réponse la plus commune à plusieurs questions. Qu’est-ce qui faisait en sorte qu’elles continuaient dans cette aventure, leur passion vraiment c’est le fil conducteur pour plusieurs. Les autres éléments beaucoup plus communs aux femmes sont l’aspect de collaboration, de communauté, de groupe. Cet aspect beaucoup plus collectif est souvent pourquoi elles partent en affaires. La femme qui aura eu le leadership ultime d’avoir su mener son équipe au succès sans en prendre les honneurs. En disant que le mérite revient à l’équipe même si à un moment donné elles vont reconnaître que l’idée vient d’elle, mais l’effort ça vient de la collectivité, ça vient de l’équipe, donc je ne sais pas à quel point c’est positif ou négatif mais je pense que c’est aussi un trait commun aux femmes.
Marie-Noëlle : Oui, c’est intéressant parce que si d’un autre point de vue c’est un style de leadership qui est plus en plus prisé par une nouvelle génération qui ont besoin eux de se sentir plus inclus,
plus reconnu, très rapidement, donc un style de leadership plus inclusif plus collaboratif qui va nécessairement plaire à une nouvelle génération et c’est pour cela qu’on parle souvent justement de favoriser l’avancement des leaders de femmes car effectivement elles apportent ces qualités-là qui peuvent plus résonner avec les générations actuelles qui demandent ça donc je penses que c’est plus positif que autre chose dans ce sens-là.
Déborah : Oui, c’est vrai et ça me fait penser peut être à un autre élément que j’ai en tête qui serait peut-être commun aux entrevues que j’ai faites à travers Mots d’Elles, maintenant que j’y penses je devrais peut être faire le ratio avec celles qui ont des enfants, versus celles qui n’ont pas d’enfants, parce que ça aussi ça change les réponses, ça change la perspective et très souvent on a des femmes, en fait tout le temps, on a des femmes qui sont très très reconnaissantes d’avoir pris le temps ou d’avoir un enfant, d’avoir su s’arrêter, donc pour avoir ou créer cette famille parce que sinon elles ne savent pas où elles seraient rendues. Et je le mentionne car il y a quelques jours je discutais avec des amies qui disaient justement cette pression, c’était des moins de trente ans, mi-trentaine devrais-je dire, cette pression encore une fois, on en parle, toutes les générations en parlent à différents moments, ou sous différentes perspectives, mais le parallèle qu’on pourrait faire c’est les femmes que j’ai interviewé toujours positivement reconnaissantes d’avoir su créer le temps, comme j’ai dit, pour fonder une famille, mais aussi la jeune génération qui regarde ces modèles de réussite, ces modèles de succès et se demande « et moi, dois-je passer par là, par la maternité pour atteindre et accomplir ce niveau-là? » donc là je pense que c’est un élément et c’est aussi, je ne te cacherai pas que les entrevues que je fais aujourd’hui, à partir de 2018 - 2019 et 2020 mettons, je ne pose plus la question de conciliation travail-famille aux femmes que je passe en entrevue, parce que et ça aussi je trouve que c’est un biais, parce que on la pose qu’aux femmes. Et de plus en plus aussi, si elles n’ont pas envie de l’aborder ou en fonction de sa réponse aussi, elle va peut-être subir des critiques, par exemple, si elle dit que moi j’ai les moyens suffisants d’avoir une année pour rester à la maison, là tout de suite elle s’expose à « ah elle n’est pas souvent avec sa famille », donc en fonction de la réponse qu’elle va donner, elle sera totalement jugée. Alors que si je passe en entrevue un homme, jamais il y a 5 ans, 3 ans il m’est arrivé de poser une question, ou on ne verrait jamais posé la question sur la conciliation travail-famille, alors qu’aujourd’hui…
Marie-Noëlle : Bien en fait, on remarque de plus en plus qu’il y a de plus en plus de papas qui prennent non seulement le congé paternel, mais effectivement, souvent les femmes c’est comme un catch 22. Si tu prends ton congé de maternité au complet, tu es jugée, « bien là ta carrière. »
Déborah : Tu prends des vacances?
Marie-Noëlle : Et si tu prends moins, « bien là, tu es une espèce de carriériste qui ne pense…
Déborah : Et si elle ne l’a pas pris, elle ne sait pas qu’un enfant les premiers mois ont besoin de leurs mamans?
Marie-Noëlle : Alors que du côté des hommes…
Déborah : Tu es salué comme un être divin quand tu partages le congé. Et quand tu ne le partages pas, ben oui, ça c’est un homme!
Donc oui, c’est particulier effectivement, j’avoue que cette question de conciliation famille-travail, je ne la pose plus, mais c’est vrai que pour les femmes que j’interview à travers Mots d’Elles, à cette question ça été vraiment très commun dans la majorité…
Marie-Noëlle : C’est un questionnement, de toute façon.
Déborah : En effet c’est un questionnement, c’est un passage je dirais pas obligé, mais c’est un passage important et aussi à quel point la maternité leur avait appris énormément sur elles-mêmes et sur comment gérer leur entreprise et je pense qu’on peut boucler la boucle, comme on dit, parce que très souvent ce sont des femmes qui partent en affaires, les femmes entrepreneures partent en affaires plus tard, donc après avoir fondé la famille et aussi elles partent en affaires pour résoudre des questions, des problèmes, comme on a dit tout à l’heure des problèmes sociétaux, des besoins sociaux , alors très souvent ça amène du fait que, mon enfant, je voudrais qu’il vive dans tel type de quartier et de société , maison, ect et c’est sur que la femme va avoir tendance à penser à une entreprise qui va répondre à ses besoins, voilà donc …
Marie-Noëlle : Est-ce que tu penses justement que à cause de ça, de ce mouvement-là, mais on voit au moins un changement,
tu le vois déjà, est-ce que tu penses justement que c’est ce qui nous permet de nous rapprocher un peu d’un contexte qui est plus paritaire dans les milieux de travail ? Parce que justement, plus les hommes, on partage l’espace parental avec eux donc ils sont plus impliqués, donc d’un côté, et de l’autre côté, ils savent qu’est-ce que c’est de revenir dans ta job et de manquer tout ça, donc est-ce qu’on est, est-ce que c’est ce genre de changements un peu sociaux qui font en sorte qu’on approche en tout cas qu’on peut s’approcher ?
Déborah : Oui ça c’est un exemple définitif, car comme tu le dis, ça permet aux hommes de se mettre à la place et de vivre un peu des deux côtés, on s’entend qu’ils n’ont pas vécus les 9 mois de grossesse et l’accouchement. On va dire que c’est pour la prochaine ère technologique, mais c’est vrai que ça leur permet de se mettre à leur place, de se mettre à la place des femmes, parce que moi je pense que dans ce débat, dans cette discussion autour de la parité, je pense que les hommes ont un grand rôle à jouer, leur rôle à jouer et surtout ça leur prend de l’empathie, c’est à dire de pouvoir se mettre à la place des femmes pour vivre la situation et il y a rien de tel que justement de pouvoir revenir peut être d’une absence, d’un congé parental après 6 mois, 4 mois et de réaliser que peut être que les projets ont avancés, que peut être qu’on ne donne plus le lead sur tel projet et c’est ce que les femmes vivent, et des fois pas seulement 1 fois, parce qu’elles ne partent pas en maternité 1 fois mais peut-être 2 fois et 4 fois peut être si elles le désirent et c’est aussi cet aspect empathique qui permet de réaliser que ah c’est ça qui se passe et l’a on parle d’un partage de projets, aspect cute, mais quand on parle de baisse salariale ou de manque à gagner par rapport au salaire ou manque d’opportunités à l’obtention d’une promotion, il y a tout cela, sans compter les collègues qui vont parler de ah tu étais en vacances, comment est ton petit, et en plus si ta femme a le malheur de tomber enceinte encore dans l’année qui suit parce qu’elle aura aimé son expérience ou juste parce qu’elle veut en profiter pour fonder sa famille, pendant ce temps-là, ah là on a un scandale, là je pense justement que là, il y a de plus en plus d’hommes en congé parental, ça ne fait que justement améliorer ou faire avancer la discussion parce qu’ils peuvent se mettre à la place des femmes et l’important ce n’est pas simplement de partager ce avec d’autres femmes mais avec d’autres hommes pour que eux aussi ils comprennent qu’ils aient conscience idéalement qu’ils fassent aussi comme ce père-là qui a pris son congé parental.
Marie-Noëlle : Ça m’amène un peu à notre thème justement. Cette année on se concentre beaucoup sur les biais conscients, inconscients, on en a parlé un petit peu mais et bien justement par exemple ça peut être tellement subtile comme ses des mots qu’on utilise les femmes qui ont du cran sont bossy, sont agressives, les femmes sont moins bonnes avec les chiffres etc.
Déborah : Avoir des émotions
Marie-Noëlle : Oui, on est tellement dans nos émotions.
Et c’est des biais qui nous sont transmis et bon, depuis un certain temps, par les normes sociales, mais c’est aussi des biais qu’on porte nous-même aussi en nous et qui souvent vont faire en sorte que des fois on va attendre d’avoir, d’être parfaite avant d’aller chercher une promotion, etc. Est-ce que toi tu en as vécu, est-ce que tu as eu l’impression d’en vivre toi aussi des biais, d’en être victime ? Est-ce que tu en as toi-même ? Comment tu as réussi à les surmonter parce qu’on ne peut pas être femme d’affaires et obtenir du succès si on ne les casse pas parce que tu dois avoir eu des obstacles, des trucs comme ça ?
Déborah : Ah tellement, on a combien de temps ? Non, blague mise à part c’est sûr que, ça c’est une question difficile parce que j’ai l’impression, parce que présentement j’essaie d’avoir de plus en plus conscience des biais mais pas simplement vis à vis de moi mais des autres, hommes et femmes mais particulièrement vis à vis des femmes parce que justement on en entend souvent parler et là c’est l’occasion vraiment de comme j’ai dit tout à l’heure de se regarder dans le miroir et de se dire est-ce que moi je faute ou est-ce que moi j’ai fauté au cours des dernières années ou au cours des derniers mois et par rapport à moi, je dirais et c’est sûr que et ça encore des images ou des évènements que la société nous renvoient, par exemple, je suis une femme noire, née ailleurs qu’au Québec et de plus je n’ai pas de cheveux, je ne suis pas mariée, je n’ai pas d’enfant donc si on énumère la liste, c’est sûr que j’appartiens à une catégorie de personnes qu’on voient souvent et qu’on ne voyait pas souvent, bref ça fait en sorte que justement des fois quand j’intègre certains milieux, j’ai moins le réflexe ces temps-ci, mais c’est vrai qu’il y a 10 ans 15 ans, quand j’intégrais une activité de réseautage ou un évènement, c’est vrai que très souvent , bon j’avais le réflexe d’aller dans mon petit coin parce que je sentais que peut être je n’appartenais pas à ce réseau, même si j’étais là pour créer ma place, mais très souvent il fallait vraiment que je me motive intérieurement et que je me dises ok Tu vas pour telle raison et j’y vais parce que ta place y est, parce que tu veux créer ta place même si elle y est pas encore, etc. Parce que les stéréotypes qu’on nous renvoient justement par rapport au modèle de la femme noire, angry black women, faut qu’elle soit très gentille, être souriante pour être approchable donc très souvent pour ne pas rentrer dans cette image là, ça nous force à justement, je dis-nous, parce que nous sommes plusieurs femmes là-dedans, pas toutes les femmes noires, mais plusieurs femmes là-dedans à vouloir ce, sans appartenir directement à cette image-là. On se sent comme obligées de s’en s’affranchir, même si on n’est pas le type à tout casser et à se lever et à crier sur tout le monde, mais on a tellement peur mais inconsciemment de rentrer dans ce stéréotype qu' on se met à sourire à être, overcompensate donc la peur de tomber, de manquer des opportunités, de manquer des invitations à luncher avec des collègues, de manquer des opportunités de promotions, justement parce qu’ont auraient été toute seule dans notre bureau, à manger seule dans notre bureau. Peut-être qu’on nous a entendu éclater de rire and Oh My God, she’s loud. Donc ça c’est le genre de biais inconscients que nous on a, mais qui nous a totalement été renvoyés par la société et qu’on ne renvoie pas. Par rapport aux compétences dans ceci, moi je pense définitivement, en plus tu le mentionnais par rapport à cette, à ce défaut, les femmes qu’on a à attendre le moment parfait, la perfection tant qu’on n’a pas 98.999 pourcents de compétence, on ne va pas postuler et pense pas que c’est le bon moment, bref ça c’est un enjeu, c’est un problème, car effectivement, on remet souvent en doute nos compétences parce qu’on ne se trouve jamais assez bonnes. On se dit oui, mais bon, j’ai déjà pris le DESS, donc c’est maintenant le temps d’aller prendre sa maîtrise, après le post doctorat. Tant que je n’aurai pas le post doctorat, je ne pourrai pas dire que je suis experte dans la question. C’est un manque, je te reviens dans 5 ans. Et dans 5 ans, l’opportunité c’est fini, c’est fini, c’est passé, et en fait on va peut-être entrer une autre terminologie dans le discours sur le double standard, car si on est la femme qui dit : donne-moi 5 ans et je te reviens avec le doc et le post doc, je pourrai répondre à ta question et je vais faire des recherches là-dessus, versus la femme qui dit : Moi je suis prête et j’y vais, moi j’ai l’ambition, moi je veux ceci, je suis trop agressive. Voyons non, tu n’as pas encore les compétences, non mais franchement, faut se méfier d’elle parce qu’elle est trop ambitieuse, elle veut seulement être au top.
Marie-Noëlle : Comment as- tu réussi à dépasser ça, justement, tu l’as dit un petit peu, faut se parler ?
Déborah : Faut se parler sans tomber dans la phase paranoïa. Oui oui, en fait c’est ça l’enjeu. Il y a une mince, et en fait on parle beaucoup de santé mentale ces temps-ci et effectivement on peut avoir ces discussions-là sans tomber dans la paranoïa. Faut toujours se poser la question: Ah, est-ce que l’on me l’a donné parce que, des fois ça va être la première question, est-ce que l’on me l’a donné parce que je suis une femme, parce que je suis une noire ou parce que je permets d’atteindre une diversité, mais sais-tu quoi, moi j’ai pas d’enjeu avec ça, j’ai fait la paix avec ces aspects de remplir des quotas parce que je me suis dit, une fois que je vais être autour de cette table, sur ce conseil, dans cet évènement, ils vont réaliser que je ne suis pas là juste pour remplir un quota, mais que j’ai les compétences, que j’ai le niveau et que j’ai l’expertise pour être là et que je resterai là parce que justement gare à eux car si on m’ ouvre la porte et que c’est sûr que je vais rester, donc c’est beaucoup plus ce, comment je pourrais dire, ce power talk qu’on doit se faire vraiment régulièrement.
Marie-Noëlle : Pourquoi on fait les choses.
Déborah : Pourquoi on fait les choses. Ça ne veut pas dire qu’on doit rester sur le même objectif. En 2017 j’avais çà et là en 2019 je veux plus. C’est correct. C’est correct, on y va avec les tendances, on y va avec ses sentiments, on y va avec son énergie aussi, sa motivation, donc je pense que ce sont des éléments pour avoir à se power talker régulièrement pour se dire : non non je peux, je suis capable, j’étais là et moi, aussi un petit exercice, si je peux le partager avec vous, que je fais toujours, ça c’est un ami qui me l’avait partagé un peu, c’est de lister, oui ça fait un peu prétentieux, mais c’est de lister ses compétences mais aussi ses succès, ses réussites, car des fois on oublie. Très souvent on oublie, parce que étant donné justement notre caractère féminin, généreux, coopératif et collectif, on se dit : oui mais, non c’est pas moi. Mais en fait, quand on fouille et qu’on fait l’exercice, on se dit : ah, si je n’avais pas dit ça à tel moment, ce n’est pas fait de la façon que j’ai dit qu’il fallait le faire on aurait pas tel résultat. Donc à un moment donné, faut qu’on soit en mesure de prendre le crédit et en plus on se rappelle ces opportunités là ou de ces moments, de ces occasions exactement, ces bons coups ou l’on a eu le moment déclencheur, le moment succès, là ça nous permet encore plus de nous power talker et de faire en sorte qu’on puisse justement atteindre le plus haut niveau. Moi j’y crois sincèrement parce que les biais inconscients, comme le nom l’indique, sont inconscients. Par contre, je pense qu’on peut sans s’en débarrasser, mais diminuer de plus en plus en se posant les deux questions, A savoir si j’évalue le dossier de deux personnes, un homme et une femme et que je me dis : ah oui mais non je suis allé avec l’homme parce que dans son entrevue il m’a parlé chiffres et le poste a besoin de finance, mais est ce que la femme ne m’a pas parlé de chiffres parce que justement elle a un peu plus de difficultés pas moins de compétence, mais pour elle ce n’est pas sa façon de communiquer sa passion, de communiquer sa compétence, elle a un autre langage mais nous faut qu’on soit ouvert à ce type de truc là, à apprendre les différents langages des différentes personnes et c’est aussi que les biais inconscients, nous pousse à faire sinon on devient juste dans une façon de concevoir la vie qui est la nôtre ou celle de personnes qui nous ressemblent et on est pas prêt à s’ouvrir à ce qu’elle est en train de me parler de ses projets et moi le langage que je comprends, c’est un tableau avec des graphiques et des statistiques mais elle elle me parlait de voir ses enfants grandir dans une société où tous les bâtiments sont certifiés leads. Elle a un autre langage et la notion de biais inconscient me fait penser à quatre figures, car je vous ai dit que j’ai grandie en Haïti, une éducation très chrétienne, catholique et une éducation très haïtienne, pour les auditeurs et auditrices qui sauraient à quoi je fais référence et j’ai aussi passé 13 ans dans une école religieuse, ou du moins gérée par des sœurs et la notion de politesse, de respect, de parler seulement quand on nous donne la parole, est très très forte. Donc très souvent moi quand je suis venue ici m’installer dans des conseils d’administration dans la réunion d’affaires, c’est quelque chose dont j’ai conscience aujourd’hui, moi je ne parlerai très souvent que lorsque je serai la dernière personne à parler `C’est aussi une question de personnalité, car moi il faut que ça prenne le temps de former mes idées, parce que je ne fais pas partie des personnes qui parlent pour rien et ça c’est vrai. Mais il y a aussi la notion de, moi je prends le temps, j’attends que les personnes qui ont le pouvoir si on veut qui sont des aînés, des adultes, des aînés dans le sens que plus âgés que moi , on parle de 65 et plus, parce que ça vient de mon éducation et très souvent on va prendre ce manque de présence, ce manque de prise de parole pour quelqu’un qui n’a pas de leadership alors que c’est juste une question d’éducation, une question culturelle, c’est une question de style, mais mon langage moi de communication c’est d’attendre que le président, la présidente du CA ait parlé, le VP, la secrétaire, bref toutes ces personnes qui ont un poste de pouvoir parlent et moi après moi je vais parler, c’est comme ça que moi j’ai été éduquée, c’est comme ça qu’on m’a enseignée la façon de faire pendant plus de 13 ans donc mettons que ça reste avec quelqu’un mais là dans le milieu des affaires et quand je vois la culture d’affaires ici, c’est pas nécessairement ça, on parle quand on veut, si on a quelque chose à dire, il n’y a pas de hiérarchie et alors historiquement si on veut héritage français, c’est justement c’est aspect de hiérarchie. Donc c’est juste un petit exemple qui fait, qui met tellement en exemple l’aspect de : Ah si je suis évaluée par quelqu’un qui a grandi ici, un homme qui est né et qui a grandi ici et qui dit Déborah ne prend jamais la parole, ça veut dire qu’elle n’a rien à dire, donc moi je la veux pas pour leader le projet. Au contraire ce n’est pas une façon de me décrédibiliser tout de suite juste parce que ma façon de faire les choses est différente, parce que je n’ai pas le code culturel ou d’affaires du Québec, ou totalement intégré parce que ça fait 10 ans à peine que je suis sur le marché du travail donc…
Marie-Noëlle : Ça me fait penser à de toute façon ça c’est une compétence que de plus en plus d’organisations reconnaissent et particulièrement pour les leaders d’être capable de reconnaître une diversité de point de vue, parce que de toute façon, le marché du travail se diversifie énormément, donc femmes de tous genres, de toutes ethnies…
Déborah : De tout genre…
Marie-Noëlle : De tout genre. Donc cette capacité d’être capable justement de décoder des langages différents, d’aller chercher des perspectives différentes c’est un une aptitude qui va être extrêmement importante dans la gestion des organisations du futur donc on ne pourra pas passer à côté et aussi bien commencer l’exercice.
Déborah : Est-ce que je l’évalue juste parce qu’il parle la même langue, la même, le même style que moi ou est-ce que je suis prête à m’ouvrir un peu, exactement.
Marie-Noëlle : En terminant, est-ce que tu aurais des conseils pour les jeunes femmes qui veulent réussir leur carrière, qui se posent des questions sur justement, comment se lancer en affaires, comment réussir sa vie de famille si elles en veulent une…
Déborah : Moi un conseil que j’avais reçu effectivement il y a 10 ans c’est d’oser. Ose créer ta place, parce que ta place est là, il y a de la place pour tout le monde. C'est vraiment un conseil qui m’est resté et c’est pourquoi effectivement que je n’ai pas eu peur, peur de créer des choses, d’aller dans des endroits, de postuler à des choses également. Ça c’est vraiment un conseil que je continue à donner et aujourd’hui je rajouterais effectivement que c’est important d’aller de l'avant, mais aussi que cet avant-là soit définie par vous, selon vos critères. Parce que pour vous, aller de l’avant ça veut dire quoi ? Avoir du succès, avoir quoi, avoir une auto, avoir un condo, avoir une maison, est ce qu’on achète un chalet, un bateau ? C’est quoi, justement, aller de l’avant. Je pense qu’il faut qu’on démocratise, mais aussi qu’on personnalise nos besoins, de ne pas dire la même chose. Ce n’est pas la même chose pour tout le monde. Pourquoi des gens sont stressés d’accomplir plein de choses, parce qu’ils voient malheureusement les médias sociaux nous ont aidé dans un certain sens, mais qui ne nous aident pas dans un autre sens parce qu’on voit plein de personnes et qu’on se dit mais pourquoi moi je ne suis pas là, pourquoi moi je ne peux pas faire ça, pourquoi moi je ne peux pas voyager toutes les semaines ? Est-ce qu’on sait véritablement tous les détails du comment, est-ce qu’on peut vraiment. Est-ce qu’on veut vraiment ça, c’est ce qu’on veut? Donc je pense que cette notion de l’avant, comme tu dis, faut le personnaliser, faut l’adapter à chacun de nos cas parce que on n’a pas les mêmes définitions du succès, de la réussite de la conciliation aussi et pour des gens si un haut souper à tous les soirs, et pour d’autres personnes c’est de ne pas manquer aucun spectacle des enfants et pour d’autres c’est de s’assurer de pouvoir payer une nounou pour s’occuper des enfants et faire en sorte qu’on soit là juste pour les sorties. Différentes personnes ont différentes mesures et tant qu’on ne se seras pas à l’aise collectivement .de dire et ça c’est ton modèle. Intéressant et ça c’est mon modèle, et je pense que malheureusement ça va prendre du temps mais on avance. Mais ça c’est positif qu’on avance.
Marie-Noëlle : Merci beaucoup Déborah, très belle conversation.
Déborah : Merci